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Le débat français sur le service public

Le débat français sur le service public

Bien que la mention de « services publics » remonte jusqu’au XVe siècle, l’acte de naissance du service public est plus tardif en droit administratif (arrêt Blanco, 1873). Pour que s’enclenchât sur la notion ainsi juridiquement consacrée un travail de théorisation, il fallut attendre encore la première décennie du XXe siècle. Un vigoureux débat a alors opposé deux modèles, thématisés par deux des plus célèbres juristes de la Troisième République. Ce débat s’applique de façon fort significative au service public universitaire : depuis la loi du 18 mars 1880, il ne pouvait exister en France d’établissements d’enseignement supérieur pouvant prendre le titre d’universités hors du service public. Par voie de conséquence, la discussion sur le service public éclaire rétrospectivement ce qu’en a été jusqu’à aujourd’hui le devenir de nos universités.

Le projet plus logique, dans le contexte des premières décennies de la Troisième République, était celui d’un renforcement de la puissance publique : la République, réapparue de façon presque miraculeuse en 1875, pouvait, de fait, estimer avoir besoin d’un tel renforcement pour asseoir son régime sur le pays. Projet que défendit Maurice Hauriou, notamment dans ses Principes de droit public (1910).

Un second projet, illustré par Léon Duguit, pouvait au contraire espérer du développement des services publics un profond renouvellement dans la représentation et dans la pratique de l’Etat. « Le service public, lit-on dans le Traité de droit constitutionnel (1911), est le fondement et la limite du pouvoir gouvernemental ». En sorte que, précisait Duguit, par la théorie du service public, « ma théorie de l’Etat se trouve achevée ». Afin de comprendre la superposition ainsi affirmée de la théorie de l’Etat et de la théorie du service public, il faut prendre acte du fait que Duguit s’était donné pour objectif de combattre les doctrines de la souveraineté.

En étayant le pouvoir sur un fondement supposé solide et inébranlable, elles conduisaient en réalité, estimait Duguit, à fonder un nouvel absolutisme de l’Etat. A l’encontre de quoi Duguit considère que ce qui fonde le pouvoir de l’Etat n’est nullement à rechercher dans les droits que le souverain aurait à exercer, mais plutôt dans les obligations que ceux qui exercent le pouvoir ont à l’égard de ceux qu’ils administrent : ces obligations seules, qui sont celles du service à rendre au public, donc du service public, fondent le pouvoir qu’ils exercent (sans lequel de telles obligations ne pourraient être remplies), en même temps qu’elles limitent ce pouvoir, qui cesse là où s’arrêtent de telles obligations. Plutôt que dans ce qu’un néo-libéral comme Hayek appellera le « bornage du service public » en l’opposant à « la tendance du secteur public à s’agrandir indéfiniment » (Droit, législation et liberté, 1973-1979), le libéralisme politique résiderait donc dans la fidélité des services eux-mêmes à leur vocation : tracer les limites du pouvoir de l’Etat.

La principale conséquence de la conception duguiste consiste à faire apparaître que le service public est libéral dans le type même de décision qui consiste à l’instituer ou à le créer. La thèse de Duguit est en effet sur ce point que l’Etat exerce moins des pouvoirs qu’il ne remplit des fonctions, selon une perspective où l’on entend par fonction un ensemble d’activités unifiées par la décision de répondre à une obligation : les pouvoirs des gouvernants, écrit en effet Duguit, ne cessent de varier, mais « une chose reste constante ( … ), c’est l’obligation pour les gouvernants de remplir, au profit des gouvernés, une certaine mission, d’accomplir un certain service » – en vertu de quoi ce que nous appelons un service public n’est en fait rien d’autre que « la mise en œuvre de l’activité que les gouvernants doivent obligatoirement exercer dans l’intérêt des gouvernés ». Il peut donc bien se créer sans cesse de nouveaux services publics : loin d’obéir à une dynamique anti-libérale d’excroissance arbitraire de l’Etat, ce processus de création des services publics serait à concevoir au contraire comme de nature intrinsèquement libérale, puisqu’il part des gouvernés, donc des individus, et ne mobilise l’action des gouvernants que pour satisfaire les besoins et les demandes des individus. En termes plus contemporains : certes le développement des services publics engendre toujours plus d’Etat-providence, mais ce renforcement de l’Etat-providence n’entre pas en contradiction avec le principe de l’Etat libéral, parce qu’il est dans le principe même du libéralisme politique que les gouvernants décident d’engendrer, pour répondre aux demandes des individus, plus ou moins d’Etat providence. Là résiderait, dans le pouvoir de prendre ce type de décision, leur seul véritable pouvoir.

Une autre conséquence de cette conception tient à l’exigence que, par leur organisation même, des services de plus en plus étendus puissent veiller à ce que cette extension ne se traduise par aucun recul des libertés publiques. Il serait en effet tentant d’objecter à Duguit, qui s’est fait à lui-même cette objection, que la croissance des services publics pourrait néanmoins finir par rendre purement formelle l’idée d’une limitation de l’Etat et par aboutir à un développement exponentiel de cette puissance publique qu’il s’agissait en principe de limiter. Habile et profonde, la parade de Duguit consiste à défendre précisément le principe d’une organisation des services publics tenant compte de ce risque, à la fois par la garantie apportée aux fonctionnaires qu’ils pourront jouir de leurs libertés fondamentales (liberté d’opinion, liberté de conscience, droits nouveaux, comme le droit syndical, etc.) et par le choix de décentraliser le plus possible la gestion des services. Si le premier thème est entré dans nos mœurs démocratiques, le second reste fort original aujourd’hui et touche à l’actuel débat sur la gouvernance. Duguit consacrait en effet de vastes analyses à envisager une organisation décentralisée ou déconcentrée des services, de manière à prévenir le risque que leur accroissement public se traduise par une augmentation du pouvoir des gouvernants, donc par un renforcement de la puissance publique.

Dernière conséquence impliquée par cette théorie : quand bien même l’extension du service public entraînerait une diminution parallèle de l’initiative privée, rien n’appelle, dans les principes de la théorie, à l’élimination du secteur privé, c’est-à-dire à la monopolisation par le secteur public de la sphère entière d’activité correspondant à un service déterminé. Duguit récusait pour sa part le monopole. Ainsi déclare-t-il par exemple son refus de prendre parti, sur ce point précis, pour l’orientation défendue alors par les socialistes, selon laquelle l’Etat devrait augmenter le nombre des monopoles. Il lui oppose la perspective selon laquelle l’Etat devrait diminuer ce nombre. Il stipule même que « certaines activités, tout en pouvant être librement exercées par les particuliers, sont l’objet de services publics dans la mesure où elles sont exercées par les gouvernants ou par leurs agents ». Précision lexicale qui revient à accepter qu’elles continuent parallèlement à pouvoir être exercées de façon privée – cas que Duguit envisage expressément en proposant même un critère d’application : « Tant que l’initiative privée, écrit-il, est susceptible d’assurer dans des conditions satisfaisantes l’accomplissement de services comme ceux des mines et des assurances, j’estime qu’il serait singulièrement imprudent de les organiser en services publics monopolisés ».

Sur ces trois points très sensibles : la relation entre Etat libéral et Etat-providence (avec un rattachement clair de l’Etat des services publics, donc de l’Etat providence, à l’Etat libéral), la compatibilité du développement des services avec le maintien des libertés publiques (avec une attention toute particulière accordée au thème de la décentralisation des services), le refus du monopole de droit, il s’est donc forgé à l’époque de Duguit, il y a moins d’un siècle, une représentation du service public qui n’incluait dans sa logique ni le renforcement du pouvoir de l’Etat ni, du même coup, l’annulation tendancielle de toute autonomie de la société par rapport à la sphère de la puissance publique. Ce constat est d’autant plus étonnant qu’il s’effectue par référence à une théorie qui a accompagné la genèse même de l’Etat républicain et y a apporté, par le rôle qu’elle a joué dans la formation de ses élites de juristes et de politiques, une contribution non négligeable. A la faveur d’un tel constat, il est d’autant plus déconcertant que la trajectoire effective du service public en France, à commencer par celle des universités, n’ait pas véritablement répondu, tant s’en faut, à ce que suggérait un tel modèle.

Sous ce rapport, les objections développées, contre Duguit, par Maurice Hauriou méritent d’être évoquées, pour la façon dont elles annonçaient l’infléchissement que cette trajectoire a fait subir à la notion même de service public. Dans ses Principes de droit public, Hauriou soutient qu’il n’y a rien à reprendre dans le fait que « le gouvernement puise du pouvoir dans l’exercice des fonctions administratives » : de fait, le service rendu ou même la simple perspective du service rendu ne peut qu’être « source de pouvoir », et ce serait donc faire preuve de naïveté que de vouloir ignorer à quel point les services constituent, pour ceux qui les assurent, des « instruments de règne ». A ce premier argument de type presque psychologique, Hauriou en ajoute un second, plus significatif d’une position de résistance assumée à une conception libérale du service public : le gouvernement ne peut pas se décharger de l’exercice des fonctions liées aux services, parce que, « s’il les abandonnait, l’administration serait plus forte que lui ». Hauriou défend donc, certes, une pratique du contrôle des services par l’Etat, voire un renforcement de ce contrôle. Toutefois, plus encore, il défend une articulation forte de l’administration publique à la puissance publique : « L’administration publique a besoin, pour sa propre discipline morale, de rester imprégnée de puissance publique ». Ou encore : « La puissance publique constitue l’armature morale de l’administration publique ». Singulier renversement, par rapport aux positions duguistes, dont il importe de considérer sur quel dispositif alternatif il ouvre.

Le dispositif envisagé est expliqué dans quelques lignes à la portée pratique desquelles il faut être attentif :

« Son autonomie relative ( = celle de l’administration publique ), son indépendance vis-à-vis du gouvernement, ne seront sans danger que si elle est elle-même, dans une certaine mesure, un gouvernement ou si elle se sent les responsabilités d’un gouvernement. Il est indispensable que l’administration conserve la prérogative de l’action directe avec contrainte, qui est d’essence gouvernementale. Cette prérogative est indispensable pour que l’administration sente à chaque instant, dans chacune de ses démarches, qu’elle n’est pas du monde de la vie privée, et qu’elle ne doit pas s’abandonner aux faiblesses de la vie privée, c’est-à-dire aux préoccupations intéressées qui la conduiraient à la fiscalité, à l’appropriation des fonctions, à leur exploitation au détriment du public ».

Ces phrases illustrent de toute évidence un autre républicanisme que celui, au fond libéral, qu’incarne Duguit. De ce républicanisme plus jacobin resurgit logiquement la conviction que l’ordre public suppose la vertu des citoyens, la volonté de faire de la sphère publique une sorte de sanctuaire clos où rien de ce qu’est l’individu privé ne trouve encore une place. De toute évidence, l’exercice des fonctions administratives doit en outre calquer ici celui des fonctions gouvernementales, avec le même recours au droit de contrainte, le même exercice de l’action « directe », c’est-à-dire non négociée, que celui dont un gouvernement croit pouvoir faire preuve. A mille lieues de toute réflexion sur la façon dont la pratique des services publics pourrait permettre de tester d’autres formes de gouvernance que celles qui relèvent de la stricte gouvernementalité, c’est à assurer un retour en force de la puissance publique, et des formes de gouvernement qui l’accompagnent, au cœur du service public lui-même que l’adversaire de Duguit emploie ainsi toute sa capacité de discuter les thèses de son collègue.

C’est peu dire que de souligner combien, à travers Hauriou, la France réaffirmait ainsi l’héritage de son histoire et se fermait pour longtemps des perspectives qu’elle venait d’entrouvrir sur la question générale de l’organisation des services publics. C’était déjà une donnée forte, exceptionnelle vis-à-vis du reste du monde, qu’il ne pût y avoir en France, depuis 1880, d’universités privées. Que des établissements libres d’enseignement supérieur ne pussent prendre le titre d’universités n’impliquait pas cependant que ces universités publiques fussent aussi, nécessairement, des universités d’Etat. A travers cette étonnante confrontation de deux théorisations du service public, et dans la mesure où le modèle thématisé par Hauriou l’a emporté durablement, l’échec du républicanisme libéral exprimait en théorie, pour longtemps, ce que commençait d’être alors, depuis quelques années, le destin pratique du service public universitaire. La loi qui, en 1896, marqua la réapparition officielle des universités, loin d’en envisager une organisation décentralisée, instaurait donc logiquement, comme le regretta Duguit, une liberté d’action des universitaires « forcément restreinte du fait que la présidence du conseil de l’université appartient au recteur, agent direct des gouvernants ». Ces dispositions ont bien sûr changé depuis les lois Faure et Savary : en appeler du succès obtenu par le modèle qu’avait théorisé Hauriou et que les politiques universitaires n’ont pu jusqu’ici vraiment réélaborer en profondeur constitue pourtant encore largement un objectif qui se trouve devant nous.

Ludivine Thiaw-Po-Une

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