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Qui sont les étudiants ?

Interventions de Geoffroy Lauvau et Justine Martin

à l’université d’été organisée par Animafac

Formation sur la question : qui sont les étudiants ?

Intervention de Geoffroy Lauvau

Introduction

Sur le programme des formations, l’intitulé de notre intervention est « panorama statistique pour appréhender les défis contemporains de l’identité étudiante ». Nous avons en effet choisi de partir des statistiques proposées par l’Observatoire de la Vie étudiants (OVE) et de l’Observatoire de l’Insertion Professionnelle (OIP) pour tenter de répondre à la question qui nous était proposée : « qui sont les étudiants ? ». La lecture des statistiques et des analyses proposées nous a conduits à faire un premier constat : l’augmentation croissante du nombre des étudiants depuis trois décennies a changé en profondeur le profil des étudiants, à un point tel qu’il semble de plus en plus difficile aujourd’hui, pour des élèves issus de l’enseignement secondaire, de devenir vraiment et durablement des étudiants, malgré tous leurs efforts. À cet égard, un des enjeux de notre propos sera d’insister sur le rôle que peuvent jouer les associations au cœur de cette dynamique de transformation des étudiants.

Partons donc du phénomène de la massification des inscriptions en Université depuis trente ans. Cette massification est à l’origine non seulement d’une transformation quantitative des étudiants, mais également et peut-être surtout d’une transformation qualitative. J’insiste sur ce dernier point dans la mesure où, si la transformation quantitative est bien connue, la transformation qualitative fait souvent l’objet de débats difficiles à saisir tant ils sont connotés politiquement. Comment en effet appréhender le passage d’une fin du secondaire qu’il est devenu récurrent d’accuser des pires maux (baisse du niveau du baccalauréat, absence de sélectivité des années qui précèdent la terminale etc.) à une entrée dans l’enseignement supérieur, dont il est non moins habituel de dénoncer les problèmes qu’elle pose (taux d’échecs, maigre professionnalisation, concurrence prépas – Université etc.) ? À cet égard, le but de notre propos ne sera pas du tout de répondre à la question de savoir si oui ou non l’Université doit sélectionner, ou dans quelle mesure elle peut et doit forcer à l’orientation ou à la professionnalisation, quand bien même ces questions seront analysées au cours de notre réflexion. Il s’agira plutôt, au-delà de ces questions polémiques, de chercher à saisir de quelle façon les conditions quantitatives comme qualitatives propres à la démocratisation de l’enseignement supérieur ont modifié l’identité des étudiants, qui à présent ne sont plus exactement les mêmes que ce qu’ils pouvaient être il y a trente ans.

La thèse que nous allons défendre consiste en effet à remarquer que l’enseignement supérieur accueille un nombre croissant d’étudiants qui n’ont pas pu bénéficier ou ne bénéficieront pas des formations nécessaires pour avoir les chances de réussir les études qu’ils envisagent, ou qui n’ont pas pu bénéficier des informations nécessaires ou des possibilités d’orientation minimales et suffisamment précoces pour atteindre les buts qu’ils envisagent à la sortie du secondaire. Autrement dit, il ne suffit peut-être pas d’être inscrit dans une filière de l’enseignement supérieur, quelle que soit cette filière et quelles que soient les les conditions de vie de chacun des étudiants, pour devenir un étudiant au sens de celui qui est placé dans des conditions optimales pour se consacrer à l’étude d’une discipline qu’il a initialement choisie. Par où s’explique que bon nombre de personnes s’inscrivant dans l’enseignement supérieur ne deviendront jamais pleinement des étudiants qui posséderaient les moyens de réussir leurs études.

La thèse que je viens de présenter sera développée en deux temps. J’essaierai tout d’abord de partir de données statistiques et de définitions précises, afin de justifier le fait que l’identité d’étudiant n’est véritablement problématique qu’au sujet des élèves s’inscrivant dans les universités. Cette première étape me permettra donc de repérer ce qui fait à mon sens la particularité du statut d’étudiant à l’heure actuelle, à savoir l’existence de plus en plus massive d’élèves qui peinent à devenir des étudiants. Une fois repéré ce dysfonctionnement, Justine Martin s’efforcera d’analyser les causes d’un tel constat, en s’appuyant notamment sur l’exemple de l’Université de Paris-Sorbonne. Elle montrera ainsi en quoi l’institution universitaire aujourd’hui ne s’adapte pas à la diversité qualitative nouvelle des étudiants et ne parvient pas à leur donner des chances égales de réussite, mission qui correspond pourtant bien à une exigence fondamentale de justice sociale propre aux démocraties libérales contemporaines.

S’inscrire à l’Université : comment devient-on étudiant ?

Les données quantitatives

À l’heure actuelle, et depuis quelques années déjà, les études réalisées sur la population étudiante se rejoignent pour dresser la cartographie générale suivante. Entre 2,2 et 2,3 millions d’étudiants, répartis pour l’essentiel en deux groupes (je m’appuie ici sur les données de l’enquête réalisée par l’Observatoire de la Vie Étudiante) : 22,9% d’étudiants non inscrits dans des filières universitaires générales (soit 12% Section de Techniciens Supérieurs / 6,8% IUT et 4,1% classes préparatoires) et 77,1% d’étudiants inscrits dans des filières universitaires générales (ce qui représente entre 1,6 et 1,7 millions d’étudiants universitaires).

Ces chiffres généraux imposent deux constats.

Le premier est que pour les 23% d’inscrits dans des filières sélectives, la définition traditionnelle de l’étudiant (celui qui a choisi une filière positivement, correspondant à ses vœux, et qui réunit l’ensemble des conditions nécessaires à son étude) s’applique pleinement. Ces filières sont sélectives, et les institutions responsables de ces formations se réservent le droit de rejeter la candidature des élèves qui ne correspondent pas au profil de formation requis. Par conséquent, ceux qui passent la barrière de la sélection rencontrent ensuite beaucoup moins d’échecs que les autres. Je rappelle que mon propos n’est pas ici du tout de défendre ce modèle de sélection à l’entrée de l’Université, mais de réfléchir aux conséquences induites par ce système de sélection pour les trois quarts restants qui n’en sont pas les produits et s’inscrivent dans les filières sans sélection.

À ce sujet, un second constat s’impose porte sur les autres filières – les filières universitaires générales – qui ne sont pas sélectives (à de rares exceptions près, comme certaines filières de droit, d’économie ou de médecine). Ces filières sont nécessairement composées pour partie d’élèves issus de l’enseignement secondaire qui les ont choisies positivement (comme un premier choix par exemple) et pour partie d’autres élèves qui n’ont pas pu s’inscrire ailleurs et se retrouvent nécessairement inscrits dans les seules filières qui ne peuvent pas les refuser. Sans aller jusqu’à parler de filière dépotoirs, ou sans céder au catastrophisme qui conduit certains à parler du lycée ou du système scolaire comme d’une « fabrique de crétins », il devient raisonnable de se demander quelle est la proportion des élèves qui s’inscrivent négativement et comment se répartit cette proportion en fonction des différentes filières et aux différents niveaux d’étude.

S’inscrire dans le supérieur à la sortie du secondaire

Dans l’enquête 2003 de l’OVE, on peut remarquer que 50,6% des étudiants des CPGE viennent des filières scientifiques, 5,2 viennent des filières économiques et 7,8 viennent des filières littéraires, le reste venant de bacs techniques tertiaires, secondaires ou professionnels. Constat analogue pour les inscriptions en IUT : 38,7% viennent de filières scientifiques, 18,6% de filières économiques et 4,3% de filières littéraires. Constat un peu différent pour les BTS, dans lesquels seuls 0,9% des scientifiques s’inscrivent, 0,7% des littéraires et 1,3% des élèves issus de filières économiques. Si l’on met donc à part les BTS, il faut constater qu’un élève sur deux de classes préparatoires est issu de filières scientifiques, qui sont initialement plus sélectives dans le secondaire, et qu’un peu moins d’un sur deux (deux sur cinq) d’IUT vient également des filières scientifiques. Ceux qui s’inscrivent dans les filières générales viennent donc proportionnellement plus des filières économiques et littéraires du secondaire.

Ce constat, qui ne tire pour l’instant aucune conclusion hâtive, s’articule à deux autres analyses proposées par l’OVE : le graphique qui met en relation la mention au baccalauréat et l’inscription dans le supérieur ; et le graphique qui met en relation l’âge et le type d’études. Le résultat est frappant, on s’en doute : les élèves les meilleurs et les plus jeunes s’inscrivent en prépas. L’immense majorité des gens moyens ou faibles s’inscrivent dans des filières générales.

C’est ici que l’analyse devient plus difficile à prolonger. Pour éviter les confusions, et avant d’entrer dans une analyse plus fine de la façon dont on peut comprendre la diversité du public étudiant dans les filières générales, je lève tout de suite une ambiguïté au sujet des solutions possibles à ce problème du devenir étudiant. Une solution souvent évoquée serait de sélectionner à l’entrée de l’Université, afin d’éviter que les plus faibles entrent et connaissent l’échec. Cette solution, comme le développera plus empiriquement Justine Martin au sujet de Paris-IV, ne peut nous satisfaire, tant il semble injuste d’interdire à des élèves déjà défavorisés (socialement, culturellement etc.) l’accès à l’enseignement supérieur. Comme le précisera Justine Martin, il s’agira donc plutôt de prendre le problème à rebours et de s’interroger sur les moyens de donner à ces étudiants les mêmes chances que les autres afin non seulement de satisfaire une exigence de justice sociale au plan global, mais également une aspiration individuelle qui consisterait pour chacun à avoir les mêmes chances de satisfaire ses aspirations conformément aux talents et aux efforts qui sont les siens.

Je reprends à présent l’analyse et je précise la façon dont se répartissent ces futurs étudiants au sortir de l’enseignement secondaire. Selon le rapport ministériel sur « L’enseignement supérieur en France » publié en mai 2007, 60% des élèves issus des filières générales se destinent à entrer à l’Université, 23% sont issus de bac technologiques et 26% de bac professionnels. Pour une bonne part, ces derniers (les bacheliers technologiques et professionnels) entrent à l’Université sans l’avoir choisi. Une enquête menée par le Ministère de l’Éducation Nationale a ainsi pu montrer que l’Université est souvent la dernière voie possible : 23,5% des étudiants inscrits en L1, soit près d’un quart, choisissent l’institution universitaire à défaut d’avoir pu être admis en IUT ou en BTS. Leur spécialisation de formation secondaire se trouve donc immédiatement en porte-à-faux avec les formations plus générales des autres filières du secondaire : ces post-élèves sont généralement pénalisés par un défaut de culture générale.

Dernier élément statistique : parmi les élèves qui s’inscrivent dans les filières générales, 29% s’inscrivent dans des formations de Sciences alors que plus de 70% s’inscrivent dans les formations de Lettres et sciences humaines (en incluant le droit, l’économie et la gestion).

La poursuite des études.

Vient à présent la question de savoir ce que deviennent ces étudiants. Là encore, les chiffres sont difficiles à manier au plan national, et je vous renvoie dans le détail à ce que va en dire Justine Martin concernant l’évolution et l’insertion professionnelle des étudiants de Paris-Sorbonne. Toutefois, dans le rapport que je viens d’évoquer sont indiqués des taux de poursuite des études qu’il est d’ailleurs intéressant de comparer aux chiffres des formations non générales de l’enseignement supérieur. Pour les STS, le taux de diplômés dépasse les 65%, l’échec n’excède pas les 35%, en incluant dans l’échec des réorientations d’environ 10% (p. 66 et p. 68 du rapport). Pour les IUT, les résultats ne sont pas aussi lisibles, puisqu’une majorité des étudiants (79%) poursuivent leurs formations en universités. On constate toutefois que l’insertion professionnelle de ces étudiants est excellente (92% un an après le diplôme de fin d’études DUT ; 87% deux ans après et 80% trois ans après), ce qui contribue à faire des IUT des alternatives de plus en plus recherchées aux classes préparatoires initialement trop sélectives. En ce qui concerne les formations paramédicales et les formations de travailleurs sociaux, même constat : 90% des étudiants obtiennent un emploi grâce à leurs formations. Enfin, pour ce qui concerne les prépas, si les prépas scientifiques et économiques sont fortes d’un taux d’intégration de plus de 80% de leurs étudiants dans les écoles, en revanche les prépas littéraires n’intègrent que 20% de leurs effectifs, le reste de leurs étudiants rejoignant l’Université (ce qui induit une concurrence souvent inégale avec les étudiants qui ont suivi le cursus purement universitaire au cours des deux premières années de Licence).

Voyons à présent le destin des étudiants inscrits en filières générales universitaires. Sur les 243000 étudiants entrants, seuls 130000 obtiennent leur diplôme, ce qui laisse un taux d’échec général de plus de 110000 étudiants, là encore à relativiser avec un nombre de réorientation avoisinant les 40000 étudiants. Le détail de l’échec est encore plus frappant.

On peut d’abord s’intéresser au premier cycle et à l’origine des étudiants qui y échouent. Comme le note le rapport aux pages 85 et 86, au moins un élève sur cinq qui s’inscrit dans les filières Droit économie et gestion (dont AES pour moitié), STAPS ou Lettres et Sciences Humaines (LSH) est issu d’un bac technologique ou pro, alors que c’est seulement le cas pour 7% des filières scientifiques. Or, en droit, économie et gestion, moins d’un élève sur cinq issu des bacs technologiques et professionnels réussit à parvenir en troisième année de Licence (L3) en deux ans, alors qu’un peu moins d’un sur deux (41%) y parvient en provenant de filières générales. Même constat en LSH : 20% des étudiants issus de bacs professionnels parviennent au L3 en deux ans alors que 45% y parviennent en venant de filières générales. Même constat enfin en STAPS où 19% des bacheliers technologiques et professionnels réussissent en deux ans, alors que 51% des étudiants des filières générales y parviennent.

On peut ensuite s’intéresser aux masters. Si l’on décompte les étudiants étrangers (qui, parce qu’ils ne suivent qu’une partie du cycle en France, faussent un regard statistique cherchant à embrasser l’ensemble d’un parcours de formation en Licence et Master), on peut constater que 40% des inscrits en sciences obtiennent leurs diplômes, 30% des inscrits en droit économie et gestion y parviennent, moins de 20% en LSH et à peine plus de 10% en STAPS. Si l’on ajoute, pour le cas des LSH, le fait que les étudiants de niveau master sont largement composés d’anciens élèves de classes préparatoires, on peut considérer que le taux d’échec en master des élèves inscrits initialement dans les filières générales du premier cycle LSH est colossal.

Sans entrer encore plus dans le détail des formations et des taux de réussite, il est possible de faire un constat d’ensemble en trois points. Les élèves qui entrent dans les filières générales des universités sont 1. des élèves peu sélectionnés et qui ne choisissent pas nécessairement positivement d’y entrer, 2. des élèves qui échouent massivement à leur passage en L3, avec une situation aggravée pour les étudiants qui viennent des bacs technologiques et professionnels, 3. des élèves qui ne parviennent que très peu à obtenir un diplôme de master, étant donné par ailleurs la concurrence des anciens élèves de classes préparatoires dans les filières où ils s’inscrivent massivement (LSH). Bref, un des défis lancé à l’Université aujourd’hui est celui de ce nombre considérable d’élèves issus du secondaire qui ne jouissent pas des mêmes chances de réussite que les autres.

Pour expliquer ce constat, il est classique d’évoquer plusieurs raisons, comme l’origine sociale des élèves, les conditions de leur vie étudiante, les discriminations les plus diverses. Sans douter de la force de ces explications, il semble toutefois qu’il est possible, à partir de ce que je viens de constater, de formuler des hypothèses un peu différentes, au sujet de ce qui pourrait égaliser les chances de réussite des plus défavorisés. Afin d’aborder cette question, je laisse la parole à Justine Martin.

Intervention de Justine Martin

L’échec en premier cycle

Comme l’a, à juste titre, souligné Geoffroy Lauvau, le statut que confère la carte délivrée par les établissements d’enseignement supérieur ne suffit pas à faire des élèves issus du secondaire des « étudiants » tels que peut par exemple l’entendre le personnel enseignant lorsqu’il fait usage de ce terme. Cette situation est directement liée à la diversification du profil des élèves titulaires du baccalauréat – aujourd’hui près de 80% des inscrits à l’examen obtient ce diplôme. Aussi, malgré une démocratisation très nette de l’accès aux formations universitaires dont on ne peut que se réjouir, de nombreux élèves, moins bien armés et souvent issus de milieux populaires, quittent encore les bancs de l’université à la suite d’un échec qui intervient généralement dès la première année.

L’importante proportion d’élèves qui ne passeront avec succès leurs examens à l’issue du L1 est, de ce point de vue, particulièrement significative. Les chiffres dont nous disposons à Paris IV, fournis par l’Observatoire de l’insertion professionnelle (OIP), font état de taux d’échec spectaculaires – et ce, sur l’ensemble des filières et dans une université qui est par ailleurs traditionnellement une université d’excellence. Seuls environ 25% des étudiants inscrits en lettres et sciences humaines passent en deuxième année (L2), c’est-à-dire un étudiant sur quatre. Rapporté à l’ensemble des filières universitaires (IUT et formations d’ingénieur compris), le taux d’échec reste très élevé : environ 54% des inscrits échouent à l’issue de la première année et 1/4 des entrants quitte l’université après un an. Ce taux est encore plus important à l’Université Paris-Sorbonne où 29% des primo-inscrits sortent du système universitaire à l’issue de la première année (L1).

Les raisons de l’échec : les causes habituellement invoquées

Les raisons de ces échecs sont difficiles à analyser. On invoque en général cinq causes essentielles qui sont souvent cumulatives :

  • La situation matérielle de l’étudiant (ce dernier vit-il encore ou non chez ses parents ?, doit-il avoir un emploi pour subvenir à ses besoins ?)
  • L’origine sociale et culturelle
  • L’origine géographique
  • Le parcours scolaire antérieur
  • La motivation

Les statistiques sont très claires en ce qui concerne la première variable : elle détermine en grande partie, à elle seule, le devenir de l’étudiant. On sait ainsi que l’exercice d’un emploi augmente de 30% les risques d’échec en premier cycle.

L’enquête de l’OVE montre qu’en 2003, 28,8% des étudiants avaient un travail qui entrait directement en concurrence avec leurs études (c’est-à-dire, un emploi à temps plein) et ce taux atteignait même 45,5% dans les filières de lettres et sciences humaines. Le travail concernait, en outre, comme on peut l’imaginer, plus fréquemment les étudiants aux origines modestes, ce qui renforce encore les inégalités : 31,8 des enfants d’ouvriers exerçaient en effet une activité rémunérée contre seulement 26,2 des enfants de cadres, chefs d’entreprise et professions intellectuelles supérieures.

La deuxième variable met en évidence de très grandes disparités en termes de réussite, entre les élèves issus de milieux aisés et les élèves issus de milieux plus populaires. Si les premiers représentent, en licence (L1, L2, L3), environ 30% des inscrits (parents cadres supérieurs et exerçant des professions libérales), les seconds n’en représentent que 13% (ouvriers). Ces chiffres s’expliquent par la faible proportion de réussite au baccalauréat des élèves issus des classes populaires. Cependant, les difficultés rencontrées par ces derniers ne sont pas moins importantes à l’université. Les étudiants de troisième cycle ne sont issus qu’à hauteur de 5% des milieux ouvriers, contre 37% pour les classes plus aisées (chiffres 2003, Rapport du ministère de l’éducation nationale : Repères et références statistiques). Les enquêtes de l’OIP, menées à Paris-Sorbonne, montrent elles aussi la grande diversité des origines sociales des primo-inscrits : 46% d’entre eux ont des parents cadre ou exerçant une profession intellectuelle supérieure, 17% ont un responsable parental employé ou ouvrier et 11% ont un responsable exerçant une profession intermédiaire. Cette origine socioprofessionnelle, si elle influe sur le choix de la discipline de Licence, n’a, en revanche, presque plus d’impact sur le niveau le plus élevé atteint à Paris 4.

La troisième variable met en évidence que les étudiants de nationalité étrangère (environ 12,5% des primo-inscrits) s’arrêtent plus souvent au niveau bac+1 que ceux de nationalité française (63 contre 50 ). Le niveau de langue, mais aussi la qualité du parcours scolaire antérieur joue ainsi un rôle fondamental dans la réussite à l’université, en premier cycle.

L’origine scolaire joue aussi un rôle déterminant : les bacheliers de la série littéraire accèdent plus souvent que les autres au moins au niveau bac+3 (42 contre 35 pour l’ensemble de la cohorte), à Paris IV. Donnée tout à fait compréhensible dans la mesure où cette Université dispense des enseignements essentiellement en lettres et sciences humaines. Sur l’ensemble des filières universitaires, ce sont généralement les titulaires de baccalauréats scientifiques qui s’en sortent le mieux : 90% d’entre eux réussissent le DEUG en 5 ans. C’est parmi les titulaires des bacs technologiques et professionnels que se rencontrent les plus forts taux d’échec dans les premières années. La probabilité d’échec en L2 est très importante pour les bacheliers qui entrent à l’Université avec un Bac technologique. Elle est, suivant les filières, deux ou trois fois moindre que pour les titulaires d’un bac général (les titulaires d’un bac scientifique, ayant les plus grandes chances de réussite, toutes disciplines confondues). Les bacheliers issus de bacs professionnels ont, quant à eux, des chances encore plus faibles de réussite : ils ne représentent que 0,4% des diplômés.

Enfin, pour les 23% environ d’étudiants qui s’inscrivent par « défaut », le manque de motivation et les difficultés à s’adapter aux exigences d’un enseignement de haut niveau entraînent un abandon dans les 2/3 des cas (en droit par exemple où les étudiants issus de bacs technologiques représentent 14 % des inscrits). Un tiers de ces étudiants se réoriente vers d’autres formations, le plus souvent un institut universitaire de technologie (IUT) ou une section de techniciens supérieurs (STS), et un autre tiers abandonne ses études.

De ces chiffres ressort un point essentiel : si les moyens matériels mis à disposition des étudiants en premier cycle déterminent en partie l’échec ou la réussite, la question se pose aussi de savoir dans quelle mesure les formations proposées par les établissements d’enseignement supérieur sont adaptées aux profils des étudiants d’aujourd’hui et aux besoins de la société.

Les réponses à apporter

Trouver une solution aux enjeux que soulève la dynamique de demande accrue d’enseignement supérieur dans les pays occidentaux suppose qu’on ne s’intéresse pas seulement aux moyens financiers à mettre en oeuvre pour aider les étudiants en difficulté. Les aides aux étudiants demeurent certes essentielles, mais la réponse institutionnelle à la lourde question sociale que soulèvent les inégalités de condition existe depuis longtemps. L’État a, depuis la fin des années 1960 – à mesure que le profil des étudiants changeait -, tâché de renforcer les dispositifs de correction des disparités économiques en ciblant les aides sociales et en redistribuant les richesses. L’allocation-logement, les bourses devraient ainsi, en théorie, permettre aux étudiants les moins favorisés de mener à bien leurs études dans des conditions décentes. Reste que, comme les chiffres que j’ai mentionnés à l’instant le suggèrent, ces mesures sont insuffisantes. Une refonte du système d’attribution des bourses, la généralisation du prêt étudiant (comme elle existe dans d’autres pays européens, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark, pour ne citer qu’eux) apparaissent ainsi comme des nécessités absolues.

La condition matérielle des étudiants n’est, toutefois, qu’une cause d’échec parmi d’autres. Doivent aussi être pris en compte, comme je l’ai précédemment indiqué, d’autres facteurs – parmi lesquels le niveau de langue française et étrangère (anglais), la maîtrise de l’expression écrite ou orale et la culture générale. Il convient ainsi de prendre à bras le corps la question de l’aide que pourrait apporter l’Université dès à présent aux étudiants les plus en difficulté. Celle-ci accueille en effet des élèves aux profils divers, issus non seulement de classes sociales bigarrées, mais aussi ayant suivi des formations contrastées, souvent inadaptées aux cursus universitaires. En conséquence, les inégalités tant langagières que culturelles, tôt mises en évidence par les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, n’ont fait que se renforcer. Des études récentes, menées par Marie Duru-Bellat, François Dubet, ou encore Eric Keslassy sont venues le confirmer. La méritocratie républicaine, qui implique que la réussite soit le corollaire du mérite et de l’effort individuel, a clairement été mise en échec à l’épreuve des faits que j’ai mentionnés tout à l’heure. Elle néglige en effet l’évidence selon laquelle les déterminismes socio-culturels jouent un rôle majeur dans les probabilités d’échec ou de réussite à l’Université. Les élèves qui s’y inscrivent après l’obtention de leur baccalauréat ne sont, de fait, pas encore des étudiants – y compris certains de ceux qui disposent des ressources tant financières que culturelles.

Dans d’autres pays, comme le Canada, par exemple, il existe une année de “propédeutique”, que la France a connue jadis et qui permet une mise à niveau des étudiants et qui leur laisse douze mois pour faire le choix de leur formation future. Suivre un tel exemple impliquerait une refonte globale de notre système d’enseignement supérieur qui n’est pas forcément souhaitable au moment où la France s’est engagée dans le processus de Bologne. Pour autant la sélection qui s’opère, de fait, aujourd’hui en premier cycle, doit pouvoir s’effectuer sur des bases plus justes, c’est-à-dire en offrant à tous des chances égales de réussite. Comme le souligne John Rawls dans la Théorie de la justice, il est souhaitable que des correctifs aux inégalités “non méritées” (celles de la naissance par exemple) puissent être trouvées. La solution à la question que soulève, pour l’ensemble du personnel académique, la situation d’extrême précarité des étudiants n’est ainsi pas entièrement d’ordre financier ou structurel. L’Université française manque certes de moyens – près d’un étudiant sur trois ne fréquente pas de bibliothèque et invoque comme cause essentielle le manque de places, mais elle pourrait, à moindre frais, envisager des mesures lui permettant de réaliser pleinement l’idéal d’élitisme républicain suivant lequel elle a été fondée.

S’appuyant sur ce que l’État a su faire en « donnant plus à ceux qui ont moins », du point de vue des ressources matérielles, l’Université pourrait ainsi envisager un dispositif du même ordre, visant, cette fois, à égaliser les ressources culturelles. Comme le suggère Alain Renaut dans Egalité et discriminations (Seuil, 2007), à qui j’ai emprunté une grande partie des analyses qui vont suivre, la mise en place d’enseignements voués à apporter une aide sur le plan de la culture générale et des ressources langagières devrait permettre progressivement une meilleure égalisation des chances. La démocratisation de l’enseignement supérieur ne pourra devenir effective qu’à la faveur d’une prise de conscience de la part de l’institution elle-même.

Au Danemark, par exemple, des mesures incitatives ont été mises en place afin que les universités prennent à bras le corps cette question essentielle. Les universités danoises sont ainsi financées par l’Etat en fonction du nombre d’étudiants « actifs », c’est-à-dire non pas en fonction du nombre des inscrits, mais en fonction du nombre des étudiants qui réussissent effectivement leurs examens. Ce système a été pensé par le gouvernement pour s’assurer que tous les moyens pédagogiques sont mis en œuvre pour éviter les échecs et pourrait constituer une voie possible pour la France. Il demeure toutefois très critiqué ,car certaines institutions n’hésitent pas à faire baisser leurs exigences afin que le plus grand nombre possible d’étudiants passe avec succès ses examens.

Sans suivre ce modèle, qui n’en reste pas moins intéressant, les institutions universitaires françaises pourraient non pas rompre avec la tradition républicaine en proposant des « quotas », mais bien mettre à disposition de ceux qui en éprouveraient le besoin un enseignement spécifique. Celui-ci pourrait prendre, par exemple, la forme de TD organisés selon le niveau des étudiants, sur la base du volontariat. A l’issue d’un test de rentrée et en fonction de leurs résultats, les étudiants pourraient ainsi s’inscrire dans des groupes de niveau où une formation appropriée leur serait dispensée.

Outre ces aménagements pédagogiques, l’Université doit consentir à offrir des formations diversifiées. Elle n’a en effet longtemps eu comme débouchés que les métiers de l’enseignement et de la recherche, du moins pour ce qui concerne les filières de lettres et sciences humaines. Aujourd’hui, l’augmentation du nombre des inscrits (il y a deux millions d’étudiants en France) oblige à repenser la question de la professionnalisation. Il ne s’agit pas ici, de renoncer aux formations généralistes, mais d’adapter certains contenus tant aux besoins sociétaux qu’aux attentes des étudiants pour qui les enseignements suivis représentent un investissement important.

De telles propositions ont le mérite de ne pas reposer la question de la sélection à l’entrée à l’Université. En effet, depuis quelques années, nombreux sont ceux qui, considérant le système actuel comme hypocrite, s’interrogent sur la possibilité d’instaurer un système d’inscription plus fermé, qui garantirait que les bacheliers aient le niveau nécessaire pour suivre la formation qu’ils désirent. Cette option ne paraît toutefois pas souhaitable pour au moins deux raisons. La première est pragmatique : que deviendrait alors le lot des bacheliers sans formation post-secondaire qui ne pourrait pas accéder à l’Université ? On invoque souvent la faillite de l’école et plus spécifiquement du lycée pour répondre à cette question. Le bac, dit-on, ne forme plus à rien et n’est plus suffisant pour entrer dans la vie professionnelle. C’est donc sur lui qu’il conviendrait, estime-t-on aussi, de rejeter la faute. S’il ne serait sans doute pas inutile de repenser le système de l’enseignement secondaire en France, la prise en charge des bacheliers par l’Université répond quant à elle à une dynamique propre aux Etats démocratiques contemporains et à l’émergence d’une société de la connaissance. Il n’est en conséquence pas justifiable de chercher à limiter l’accès à l’enseignement supérieur, au moment où le marché de l’emploi est de plus en plus demandeur de personnel hautement qualifié.

La deuxième raison est d’ordre philosophique. L’Université française a en effet été fondée à partir de l’idéal de l’« élitisme républicain » que la formule de Louis Liard résume assez bien : « assurer dans la masse la sélection de l’élite. » Le système méritocratique qui en découle implique qu’un élève détenteur du diplôme lui permettant d’accéder au premier cycle (le bac) est en droit d’y faire ses preuves. Ce système – présent dans de nombreux autres pays (en Allemagne, par exemple) – a l’avantage de permettre une véritable égalité des chances entre les bacheliers, à la condition qu’on donne à tous les mêmes possibilités de réussite. Plutôt que de remettre en cause ce système, sans doute faudrait-il alors plutôt envisager la manière dont les échecs pourraient être évités.

Je n’ai indiqué que quelques pistes. Il importe plus largement que l’ensemble des acteurs de l’Université, étudiants, enseignants et pourquoi pas, membres du monde associatif, prennent en considération, mieux que cela n’est souvent fait aujourd’hui, les chiffres que Geoffroy Lauvau et moi-même vous avons présentés. L’Université doit en effet se résoudre à repenser les fondements de son enseignement et à les adapter tant aux exigences du marché de l’emploi qu’à la diversification de la population étudiante.

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