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L’autonomie des universités au péril de la crise

Alain Renaut (OEPU/CIPPA)

(Document de travail, version I, au 24/11/2011)

Avertissement

L’étude que je publie sur ce site en l’état est la première version d’une conférence qui m’a été demandée par les organisateurs du colloque « L’université demain » (Université de Nantes, 7 et 8 décembre 2011, sous la dir. d’Arnauld Leclerc, Vice-doyen de la Faculté de droit et des sciences politiques). Seuls quelques éléments de ce texte sont destinés à être prononcés dans le cadre d’une table ronde intitulée « Quelle université après l’autonomie ? ». Ne serait-ce que dans la mesure où quelques-uns des épisodes de la séquence que j’évoque dans la troisième partie de ce texte sont encore à venir et trouveront de nouveaux développement, pour certains d’entre eux, dès décembre 2011, mon étude se voue à être évolutive et sera modifiée, ici même, à mesure que ces épisodes se dérouleront et donneront à ce que j’analyse une issue qui n’est pas encore entièrement prévisible au moment où je livre cette première version.

Le statut de ce texte m’aide à cerner moi-même les charges très particulières du travail accompli en philosophie politique appliquée, quand le champ d’application se rapproche en partie, comme c’est le cas ici, du présent le plus immédiat. En songeant à mes précédents ouvrages consacrés à la politique universitaire, publiés de 1995 à 2010, je mesure à quel point celui qui, à partir du terrain des principes, s’aventure résolument dans l’espace de l’application, s’expose à des tours et des détours, dans le devenir du problème sur lequel il travaille, qu’assurément il ne saurait jamais avoir entièrement prévus. Ainsi me suis-je confronté dans ce papier, tant à propos de la gouvernance des universités que pour ce qui touche à la modernisation de l’institution universitaire, à des virages dont l’ampleur fait assurément de la philosophie politique appliquée une singulière aventure.
A.R.

A l’automne 2011, plusieurs éléments de conjoncture pèsent sur l’autonomie des universités, à peine plus de quatre ans après le vote de la loi qui l’avait instituée dans le paysage de notre enseignement supérieur. D’une part, huit universités en grave difficultés budgétaires sont placées sous tutelle de leur Recteur d’Académie – situation avec laquelle l’autonomisation s’était employée à rompre. D’autre part, la politique de construction des Pôles de Recherche et d’Enseignement supérieur (PRES) fournit l’occasion d’inventer, pour concevoir leurs modalités de gouvernance, des dispositifs dont il n’est pas assurer qu’ils ne conduisent pas à brader les objectifs à d’autres considérations, relevant davantage de la recherche d’une surpuissance administrative et d’une volonté de sécurisation financière que de l’expérimentation de la liberté. Autant de circonstances qui imposent de revenir sur ce qui s’était passé en 2007, sur les forces et les faiblesses de ce qui avait été tenté, et de se demander à quelle croisée des chemins nous nous trouvons aujourd’hui : revenir sur l’autonomie pour y renoncer compte tenu des périls auxquels, par temps de crise, elle exposerait, ou pour en approfondir la logique et mesurer les exigences qu’elle induit d’aller plus loin ? Des prochaines échéances électorales, d’abord dans beaucoup de nos universités qui éliront leurs présidents au début de 2012, puis au plan de la politique générale quelques mois plus tard, on se plairait volontiers, dans ce contexte troublé, à espérer qu’elles incitent nos décideurs à mieux situer leurs options, entre droite et gauche, mais aussi au-delà de ce clivage, en matière de conception et de pratique de l’institution universitaire.
Quand le projet soumis par Valérie Pécresse au Parlement est devenu en août 2007 une loi de la République, beaucoup d’arguments et de contre-arguments avaient été échangés. Pour la première fois depuis longtemps, ils eurent le mérite de faire accéder la question de l’Université, de ses finalités, de sa relation à l’Etat, de son fonctionnement interne, au statut qu’elle mérite : celui d’un indispensable objet de débat public.
On a alors tout reproché, en quelques semaines à ce projet pourtant conforme à ce que tout le monde attendait. Il a été critiqué aussi bien par ceux qui trouvaient qu’il en faisait trop (disons les conservateurs, y compris de gauche, inquiets de voir l’Etat poser des limites à son pouvoir de gérer directement les universités) que par ceux qui estimaient qu’il n’en faisait pas assez (les libéraux les plus radicaux, y compris de droite, regrettant que la loi n’instaurât point un principe de franche concurrence entre les universités). La loi a déçu aussi les tenants d’une sélection à l’entrée, qui eût bouleversé notre tradition universitaire et obéré toute chance, non seulement de faire aboutir le projet, mais de travailler ensuite plus calmement sur ce dossier de la sélection, comme au demeurant sur d’autres.
La loi votée, le vrai débat aurait en fait dû commencer et s’entourer d’une vaste réflexion sur ce qui était souhaitable et sur ce qui était possible, ainsi que d’une large concertation sur ce qui exigeait encore de confronter informations et argumentations. Il a urait fallu notamment prendre le temps de mener une vaste étude comparative, et publique, entre les divers systèmes universitaires, notamment européens, pour enrichir notre expérience de celle des autres et déterminer ainsi avec plus de précision les contours de ce qu’aurait pu être l’université française « après l’autonomie ».
Nous le savons aujourd’hui, les choses ne se sont pas passées ainsi. Avant d’indiquer où nous en sommes aujourd’hui, je voudrais d’abord rappeler, brièvement, pourquoi et selon quelles responsabilités ce vrai débat n’a pas eu lieu.

I. Après l’autonomie : un débat manqué

Le débat aussi ouvert que possible, que la loi appelait, n’a pas eu lieu. Je n’analyserai pas les responsabilités qui ont conduit à cette carence dans le processus délibératif que la loi, dans ce qu’elle pouvait avoir de perfectible et d’amendable, appelait. Dans ces responsabilités se sont combinées dès cet instant, de façon désastreuse et à parts que je trouve égales, deux propensions aussi dommageables l’une que l’autre. Pour évoquer ces deux propensions, je ne considérerai qu’un exemple de ce qui, de l’automne 2007 à l’été 2009, leur fournit l’occasion de s’affirmer, à savoir le débat sur le statut des personnels.
La propension du MESR, à cette occasion comme dans d’autres durant la séquence indiquée, fut de considérer qu’une fois le cadrage législatif obtenu, la suite du processus relevait de la simple application de la loi et n’appelait plus véritablement délibération, mais au mieux consultation dans le cadre de missions ou de commissions de type classique, dont ce qui en résulterait serait de toute façon le seul produit de décisions ministérielles, au mieux négociées tant bien que mal avec les organisations syndicales : on sait précisément ce qu’il advint de cette méthode dans le cas de la Commission Personnels, mise en place en décembre 2007 par la Ministre sous la Présidence de Rémy Schwartz. J’ai moi-même fait partie de cette Commission, réellement pluraliste dans sa composition et consacrée tout entière à des auditions d’experts et de représentants de multiples catégories de personnels : il s’y déroula de passionnants débats, avec, entre les membres de la Commission elle-même de forts clivages dans la façon de mettre en œuvre la LRU concernant les statuts des personnels. Reste que le rapport ultime, remis à la Ministre le 9 juillet 2008, ne constitua et n’était voué à constituer que le soubassement d’un décret annoncé en janvier et février 2009 : ces annonces suscitèrent un vaste mouvement de protestation issu de multiples catégories concernées, avec pour point d’aboutissement, après une série de réécritures, un texte ultime paru au J.O. du 25 avril 2009 qui réussit cet exploit de ne contenter finalement personne et de laisser de vilaines cicatrices sur un dossier qui eût pourtant pu être décisif dans le travail d’incarnation de la LRU dans des dispositions concrètes qu’il eût fallu soumettre, compte tenu des enjeux qui s’y associaient, à une délibération beaucoup plus vaste des acteurs du monde académique.
Dans ce contexte, une propension symétrique et inverse des adversaires de la LRU ne favorisa pas non plus le travail délibératif. Je ne sais pas s’il leur eût été possible de travailler, s’ils y avaient été invités il est vrai, dans le cadre de la loi pour contribuer à en éliminer les ambiguïtés et à y introduire, à leur faveur du travail toujours décisif, de l’application, des correctifs indispensables – notamment en matière de contre-pouvoirs, j’y reviendrai, aux pouvoirs des nouveaux présidents des universités. Aurait-il été possible de jouer cette carte en 2008-2009, celle d’une critique constructive ? Il est difficile de le dire, et nous ne réécrirons pas cette histoire, mais la propension des adversaires de la loi, faute d’un minimum de consensus sur au moins certaines dimensions et intentions du texte législatif de 2007, fut plutôt de mettre à profit l’espace d’intervention que rouvrait le travail de l’application pour rejouer dans les établissements et dans la rue le débat qui n’avait peut-être pas eu suffisamment lieu lors de l’adoption rapide, précipitée peut-être, de la LRU. La logique des camps l’emporta en tout cas, de ce fait aussi, sur celle de la délibération, et le processus d’appropriation de la loi par le monde académique, il faut en convenir, ne put avoir lieu – avec comme conséquence, aujourd’hui, une représentation de la LRU et de la question de l’autonomie des universités dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est aujourd’hui confuse, traversée de multiples amertumes et malentendus, avec une adhésion progressive à l’idée d’autonomie (si cette adhésion existe et là où elle existe, par exemple dans les programmes des partis politiques pour les élections présidentielles de 2012) qui se caractérise par beaucoup plus d’arrière-pensées que par une vision claire du cadre dans lequel se trouve placé désormais l’enseignement supérieur français.
Je trouve cette situation malencontreuse, désastreuse peut-être, parce qu’elle nous prive d’un consensus nécessaire à la poursuite de la transformation de notre espace académique, qui reste aujourd’hui plus ou moins entre deux gués, et parce qu’elle fragilise ainsi un paysage institutionnel qui aurait pourtant eu besoin, pour dessiner plus franchement ses véritables contours, d’une installation plus sereine, plus délibérative, donc plus démocratique.
Dans l’état actuel des choses, comment appréhender la situation où nous sommes placés ? Je me bornerai à développer à cet égard deux séries de remarques. La première consistera à apprécier les apports et les limites du cadrage législatif de 2007. La seconde tentera d’expliciter un certain nombre d’interrogations qu’appelle à mon sens, aujourd’hui, ce qui, vis-à-vis de l’autonomie proclamée en 2007, correspond, notamment à travers la mise en place de la gouvernance des PRES, à de nouveaux motifs d’inquiétude quant à la sincérité de la politique d’autonomisation.

II. Apports et limites de la LRU

Revenons d’abord sur ce que le processus d’autonomisation qui s’est accompli depuis l’été 2007 a apporté et sur ce qu’il n’a pas apporté. Certes la loi n’a pas tout résolu, tant s’en faut, comme certains ne manquent pas de le lui reprocher. Prenons un exemple, brûlant en ce moment où plusieurs universités françaises semblent, sous autonomie, menacées de banqueroute. Quel a été sur la situation financière ou budgétaire de nos universités l’impact de la LRU ? Ce dossier est complexe, requiert de l’expertise et du temps, je ne vais ici que l’entrouvrir.
La LRU, tout en touchant décisivement à la question budgétaire à travers l’élargissement des compétences des universités en la matière, n’a de toute évidence pas résolu le problème de la misère de nos formations proprement universitaires, que je dénonce pour ma part, publiquement, depuis plus de quinze ans (Les révolutions de l’Université, 1995) : une misère qui reste invraisemblable notamment à Paris, en raison de la concentration, très forte, trop forte, d’une grande partie de la population étudiante dans des établissements vétustes et mal adaptés. Le transfert aux universités de la gestion d’une masse financière d’origine publique qui demeure très largement insuffisante et ne s’accroîtra pas dans le présent contexte des politiques d’austérité ne pouvait certes rien résoudre par lui-même : il n’y a à vrai dire aucun sens à reprocher à la loi d’autonomisation ces graves difficultés – l’Etat, que ce soit en gestion directe comme avant 2007 ou en gestion décentralisée comme depuis le passage aux compétences élargies, restant évidemment maître de sa dotation budgétaire, qui ne dépend en rien des institutions, mais des choix effectués en matière de politique universitaire. Comme pour d’autres chantiers, la loi de 2007 aura cependant créé les conditions, celles précisément de l’autonomie, à partir desquelles des initiatives peuvent se faire jour dans les universités elles-mêmes pour compléter, notamment à travers des fondations dédiées à la collecte de fonds (on a bien compris ce point dans certaines universités, par exemple à Nantes), la dotation issue de l’Etat. Il leur faudra en effet se saisir des pouvoirs que leur donnera l’autonomie, pour entamer elles-mêmes, dans les mois et années qui viennent, un processus d’analyse, de délibération et décision. On peut bien sûr soupçonner cette démarche de préparer un retrait financier de l’Etat, mais j’observe seulement :
– d’une part qu’il dépendra ici des majorités politiques de faire leurs choix (dans le cadre de ce que la situation du budget général de l’Etat leur permettra d’envisager), bref je souligne à nouveau qu’il s’agit d’une choix politique, et non pas d’un effet de l’autonomisation ;
– d’autre part que, même dans les pays dont les universités connaissent depuis bien plus longtemps que nous une situation d’autonomie institutionnelle de leurs universités par rapport à l’Etat, la part des financements publics dans le budget total des grandes universités mondiales reste beaucoup plus forte qu’on ne le croit en général (on se reportera sur ce point aux rapports de l’Institut de l’entreprise, de l’Institut Montaigne, ainsi qu’à celui de Philippe Aghion).
Il n’y a donc aucun lien absolument contraignant entre le financement quasi entièrement étatisé à quoi correspondait jusqu’à la LRU le dispositif budgétaire de nos universités et une quelconque aisance financière que nous n’avons en fait jamais connue (l’Etat, en France, ayant toujours fait le choix de privilégier financièrement l’enseignement secondaire plutôt que l’enseignement supérieur et, dans l’enseignement supérieur, le secteur des Ecoles plutôt que celui des universités).

Symétriquement, il n’y a pas non plus de nécessité ou de fatalité à ce que l’autonomie de gestion budgétaire des universités se traduise par un repli massif de l’Etat, sauf à ce qu’une majorité politique au pouvoir à tel ou tel moment en décide ainsi. J’y insiste : dans les pays où l’autonomie des universités existe depuis longtemps, la part des financements publics dans leurs budgets demeure très forte : même aux Etats-Unis, où les droits d’inscription acquittés par les étudiants peuvent être très élevés (30 000 euros à Harvard dans les cursus correspondant à nos masters), la part des frais de scolarité dans le budget des grandes universités publiques ne représente que 18 % de leur ressources, et même dans les universités privées elle ne dépassent pas 36 %. Dans les universités publiques américaines, la part du financement public continue d’atteindre 70 % du budget (25 % par l’Etat d’appartenance, 45 % à travers des contrats de recherche financés par les organismes fédéraux). C’est là, certes, une part du financement public très inférieure à ce qu’elle est en France (87 %, contre, pour changer d’exemple, 57 % au Canada), mais l’autonomie des universités, dans les pays qui connaissent ce statut depuis longtemps, ne se traduit pas par le tarissement de l’investissement public, même s’il y existe une diversification des fonds bien plus grande qu’ici – avec, force est de le constater, à la faveur de cette combinaison d’un investissement public qui demeure fort et d’une collecte de fonds plus diversifiée, des conditions de formation et de recherche qui sont sans commune mesure avec celles que nous connaissons.

Il me semble donc que, sur cet exemple qui correspond à l’un des dossiers décisifs pour le devenir des universités françaises dans les années et décennies qui viennent, la LRU n’a certes rien résolu et elle ne pouvait au demeurant rien résoudre par elle-même (on l’a bien vu, depuis 2007, à travers les tentatives complémentaires du MESR pour corriger, par des décisions politiques, le sous-financement endémique de nos universités à la faveur de dispositifs dont on peut penser ce que l’on veut (« Réussir en Licence », Labex, Idex), mais qui témoignent que ce sous-financement et ses éventuelles correctifs dépendent de choix, sur lesquels nous pouvons peser, mais que nous ne pouvons pas faire peser sur la loi. A vrai dire, au-delà du transfert de la gestion de leur budget aux établissements, la LRU a créé seulement de ce point de vue (dans son Titre III, chapitre Ier : « les responsabilités en matière budgétaire », et surtout chapitre II, section 5, art. L.719-12, sur les fondations universitaires et leur « autonomie financière ») quelques marges de maoeuvre dans la collecte des fonds : ces marges de manœuvre sont restreintes, cadrées qu’elles sont en partie par la détermination publique du plafond d’emplois, mais elles existent et elles ouvrent un espace à des initiatives des établissements pour se ménager des espaces plus libres vis-à-vis du plafond et davantage ouverts à des financements plus diversifiés, publics ou privés. Ce type de disposition crée des libertés, il crée aussi des responsabilités, selon l’intitulé de la loi mais peut-être au-delà même de cet intitulé : avant tout la responsabilité pour les universités et pour les universités de se saisir de cette responsabilité qui leur est ménagé d’inventer des dispositifs de financement et de fonctionnement nouveaux et décentralisés (avec pour seul cadrage l’existence d’une certification des choix effectués en aval par un commissariat aux comptes, ce qui est normal dans des universités qui restent publiques). Mon sentiment est que sur ce dossier décisif la LRU a ouvert un espace de jeu permettant aux universités françaises de s’avancer vers une nouvelle formule qui feraient d’elles, je l’avais pour ma part souhaité depuis 1995 en étudiant dans mon ouvrage paru alors le statut des universités du Québec, des « universités publiques, mais non d’Etat » – belle formule : des universités publiques, mais non étatisées, qui correspond à ce que, je crois, nous pouvons nous souhaiter de meilleur, et vers quoi, sur ce dossier-là, la loi fait ou faisait (je vais y revenir) signe. Il va de soi que l’ouverture ainsi ménagée sur une collecte plus autonome de fonds plus diversifiés devrait se compléter par des ouvertures analogues dans le cadre d’autres dossiers sur lesquels les universités et les universitaires auront à travailler, dès lors que leur travail pourrait relever expressément désormais de leur libre initiative. Je ne dis pas que c’est le cas, c’est-à-dire que leur libre initiative est ici rendue entièrement possible, mais c’est dans l’explicitation de ce genre de questions que le travail d’explicitation de la loi aurait pu et dû porter après 2007 : je regrette que, pour les raisons que j’ai rappelé, cela n’ait pu être le cas, mais nous pourrions essayer de tester ce que, de ce point de vue, la loi permet ou ne permet – au moins à mon sens sur au moins trois dossiers autres que celui du budget et qui correspondent aux trois moments du cursus LMD :

  • L’organisation des premiers cycles, avec la question de savoir comment, une fois justement écartée (à mon sens) la perspective de la sélection à l’entrée, construire un public étudiant capable de suivre un enseignement devenant progressivement de haut niveau, ou si l’on préfère : dans nos premiers cycles, comment transformer, en trois ans, un élève en un étudiant ? Je veux dire : quelle formation dispenser afin que les élèves arrivant des lycées deviennent, pour ceux qui entreront en master, des étudiants proprement dit, capables de mener à bien des activités de documentation, de s’exprimer par écrit et oralement de façon correcte et de communiquer en anglais avec le monde scientifique extérieur à nos frontières ? Sans sélection à l’entrée, ce que j’approuve, comment offrir à une plus large part de ce public diversifié davantage de chances de ne pas seulement, pendant un an, voire pendant un semestre, faire un tour de piste dans nos universités ? Davantage de chances, non pas d’obtenir tous les mêmes résultats, mais de réussir comme ils auraient réussi, avec leurs qualités et par leurs efforts, s’ils avaient eu une autre trajectoire sociale, personnelle, scolaire. Ce chantier de l’égalité des chances est à ouvrir de toute urgence, tant la situation actuelle est inutilement coûteuse pour beaucoup de familles comme pour les fonds publics, et injuste au regard de l’exigence républicaine d’égalisation des chances.
  • Le chantier des masters : une fois l’élève issu du lycée transformé en un étudiant, la question surgit en effet de savoir comment transformer un étudiant soit en un jeune chercheur (entreprenant, au-delà du master, un doctorat), soit, plus souvent, en un « professionnel » capable de convaincre les recruteurs publics ou privés qu’il peut investir dans un emploi ses connaissances et ses compétences. Ce chantier de la professionnalisation des formations est à peine ouvert aujourd’hui. Il ne pouvait guère l’être davantage jusqu’ici : d’une part, il n’y aurait eu aucun sens à prétendre régler en la matière les problèmes par une loi ou par des circulaires nationales ; d’autre part, les initiatives locales, qui existent, se trouvaient fortement limitées, voire paralysées par l’obligation de les gérer sur des fonds publics dont la mobilisation exigeait un contrôle en amont par l’Etat. C’est spécialement pour libérer ce genre d’initiatives qu’une gestion financièrement plus rapprochée et un contrôle prenant la forme d’une évaluation en aval, bref une gouvernance plus autonome, devrait jouer à terme un rôle décisif. Encore faudra-t-il déclarer ouvert, sans une autosatisfaction prématurée qui m’étonne dans les enquêtes réalisées sur ce point par le MESR, ce chantier immense de l’insertion professionnelle, objectif désormais inscrit dans la loi, mais dont l’expression même qui le désigne fait encore figure de gros mot pour trop d’universitaires.
  • Le doctorat, ainsi que, s’y associant, le post-doctorat : là aussi il faudra ne pas nous satisfaire de l’état de fait, que je trouve désastreux notamment dans le secteur des humanités, où la formation de jeunes chercheurs souvent de très haut niveau n’est accompagnée ni d’un dispositif de soutien permettant d’égaliser leurs chances de réussir quel que soit leur environnement familial (ce qui recoupe la question budgétaire de la diversification des fonds susceptibles de « supporter » des doctorants qui le méritent) ni d’un dispositif post-doctoral permettant aux meilleurs jeunes docteurs en période de raréfaction des postes d’enseignement et de recherche d’attendre de façon active, par leur insertion statutairement explicitée et soutenu dans des équipes de recherche, leur recrutement sur un emploi durable : sur ce point aussi, ce dossier, qui est celui de la recherche universitaire et du soutien qu’elle appelle, recoupe visiblement aussi la question de la diversification des sources de financement, et de la façon dont nos équipes pourraient, de façon autonome et donc plus efficace, obtenir des pouvoirs locaux ou régionaux, des services publics ou du monde de l’entreprise, de quoi accompagner la transition extrêmement difficile à laquelle se trouvent confrontés aujourd’hui nos jeunes chercheurs.

Selon ces axes, qui ne sont pas limitatifs, la LRU n’a donc assurément rien résolu. Au mieux, si du moins une réelle autonomie de gestion des fonds publics, caractérisée par un contrôle un aval (et non plus en amont), ainsi que l’autonomie partielle de financement qu’elle ménage au-delà des fonds publics se trouvaient toutefois suffisamment approfondies ou consolidées pour trouver leur vraie portée, l’autonomisation lancée en 2007 aurait, vis-à-vis des dossiers qui viennent d’être évoqués, amorcé simplement un processus pour l’accomplissement duquel il nous faudrait demander la garantie ou l’obtention des conditions juridiques et administratives sans lesquelles la prise en charge de ces dossiers demeurera impossible ou éternellement différée.

III. De la LRU à la politique des PRES : une remise en question de l’autonomie ?

En matière d’autonomisation des universités, ce qui avait été obtenu en 2007 était certes assez limité, mais contenait quelques virtualités prometteuses – du moins pour qui n’est pas convaincu que la centralisation administrative serait par définition la meilleure modalité de gestion d’une institution publique et qu’une gestion plus rapprochée, par les acteurs de cette institution, serait toujours potentiellement plus souhaitable qu’une gestion à distance, paralysant l’esprit d’initiative et l’inventivité de ceux qui connaissent le mieux les particularités d’une situation. Bref, sur un certain nombre de points (notamment, je l’ai souligné, la collecte et l’utilisation de fonds complémentaires à la dotation de l’Etat), la LRU, sans le dire explicitement, créait des mécanismes que les juristes désignent comme de subsidiarité descendante, où l’institution ministérielle et ses directions délègue aux instances locales (celles d’une université à travers son Président et ses Conseils élus) ceux de ses pouvoirs pour lesquels elle estime que ces instances peuvent utilement se substituer à l’administration centrale, sous le contrôle rétrospectif de celle-ci, pour remplir le mieux possibles les missions confiées (par la loi) à un établissement d’enseignement supérieur. C’était même, bien évidemment, le principe d’une telle délégation et d’une telle substitution, par lesquelles le pouvoir de l’Etat s’auto-limitait, qui faisaient ainsi surgir une dimension d’autonomie s’explicitant en termes de capacités d’agir ou, si l’on préfère et selon le terme forgé par Amartya Sen, de « capabilités ». Pour ma part, j’avais en 2007, à travers diverses interventions dans la presse, défendu le projet de loi, non pas tant pour lui-même ou intrinsèquement comme constituant un texte juridique parfait et dépourvu d’ambiguïtés, mais parce qu’il s’y exprimait quelque chose de cette exigence d’autonomie à laquelle dans laquelle se joue à mes yeux, dans un Etat moderne et dans ses relations avec la société, un certain nombre des libertés auxquelles tient un démocrate ayant échappé aux illusions du jacobinisme.

Trois ans après, cette dynamique s’est-elle confirmée et enrichie ? Depuis quelques mois, et sur une expérience très spécifique que beaucoup de nos universités sont en train de vivre, cela me paraît de moins en moins certain. L’expérience dont il s’agit est à mes yeux celle de la mise en place de ce que, depuis la loi de 2006 (antérieure, donc, à la LRU), nous nous sommes habitués à appeler des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES). Je ne souhaite pas débattre dans cette intervention de la pertinence ou non de la politique des PRES comme telle. Les motifs en sont connus et peuvent être apprécié très différemment : issue de la loi de 2006 sur la recherche, qui donnait aux PRES la mission de favoriser l’articulation entre acteurs privés et publics de la recherche, la politique des PRES s’est en tout cas affirmée comme visant à reconstruire de puissants regroupements d’établissements en principe destinés à mieux se positionner sur l’échiquier international et à collecter plus aisément, au motif supposé que l’argent va à la puissance, des financements pour leurs recherches. Persuadé que la défense purement conservatrice du statu quo et du splendide isolement d’universités affaiblies par leur misère ne pouvait conduire nulle part, je ne me suis pas du tout pour ma part opposé, originellement, à cette démarche, et dans le cadre du CA de Paris-Sorbonne, j’ai, avec mes collègues de la minorité issue des élections de 2008, voté les premiers statuts du PRES d’abord baptisé « Sorbonne Universités » (le pluriel est important) regroupant Paris-II, Paris-IV et Paris-VI sur le mode, non d’un établissement public de coopération scientifique (EPCS), mais d’une fondation de coopération scientifique avec, dans les statuts, un droit de veto de chaque établissement (dans le conseil d’administration comprenant un représentant de chaque membre fondateur) sur toute décision majoritaire lui apparaissant contraire à ses intérêts ou à son identité propre. Ce dispositif nous était apparu préserver l’autonomie interne des trois universités par rapport au pouvoir du PRES, donc limiter le pouvoir central.

Pour ce PRES comme pour d’autres (dont les formes juridiques pouvaient d’ailleurs être distinctes de celle-ci), la question de l’organisation de la gouvernance du PRES s’est trouvée cependant surdéterminée par l’opération liée au grand emprunt préconisé par le rapport Rocard-Juppé de novembre 2009 et inscrit dans la loi de finance rectificative du 9 mars 2010 qui ouvre les crédits notamment de type IDEX (Initiative d’excellence) et LABEX (laboratoire d’excellence). Il s’est trouvé précisé en effet qu’entrer dans une des IDEX (dotées au total de 7,7 milliards d’euros) supposait, pour une université, de faire partie d’un PRES dit efficace, et que l’un des objectifs de l’opération était ainsi de faire émerger entre 5 et 10 PRES de niveau international, financés par l’IDEX dans certains de leurs programmes de recherche et invités en outre à développer à cette occasion leurs partenariat avec le secteur privé – de façon à parvenir à mettre en place une part réelle d’auto-financement par levée de fonds provenant de sources diversifiées. Les conditions ainsi posées étaient donc fortement incitatives, pour les universités concernées par leur appartenance à un PRES, à procéder à une nouvelle réflexion sur la gouvernance du PRES (avec un objectif de resserrement de son caractère intégratif) et sur la question de la collecte de fonds plus diversifiés que dans l’optique d’une dotation budgétaire classique (MESR). Les incitations étaient même si fortes qu’en juillet 2011 le jury international des IDEX a rendu, dans le cas du PRES Sorbonne Universités, un avis certes scientifiquement favorable (assorti de la note A) au projet déposé conjointement par les trois universités (intitulé subtilement SUPER), mais des avis réservés ou franchement négatifs sur tous les autres points, en attribuant en particulier la note C en particulier pour ce qui touchait aux « partenariats économiques », à la « crédibilité et efficacité de la gouvernance », ainsi qu’à l’« efficacité des procédures » et à la « maîtrise de la gestion ». Je n’ai pas du tout l’intention de polémiquer, ni même de m’exprimer sur cette évaluation, mais plutôt à observer ce qui s’en est suivi, une fois connues ces objections, résumées ainsi dans le rapport d’évaluation :
« Les candidats ont amorcé la transformation d’une partie du système universitaire parisien, mais ne sont pas allés assez loin dans la définition de la gouvernance, de la gestion financière, des options RH et de la feuille de route à 10 ans pour une Université ».
Le tout était même, pour faire bonne mesure, complété par l’indication d’« axes d’amélioration », notamment deux : d’une part, « faire un effort substantiel pour repenser la gouvernance, la gestion financière et pour fournir une feuille de route à 10 ans pour une Université » ; d’autre part, « définir un budget argumenté et cohérent, incluant une estimation du co-financement apporté par le secteur privé et les organismes ».

Ce qu’il m’intéresse de faire ressortir dans cette affaire, c’est, en tout cas pour cette intervention, le type d’infléchissement que le PRES Sorbonne Universités a imprimé, pour présenter à nouveau son projet devant le jury de l’Idex (déposé le 8 décembre 2011), au document dit SUPER. Après une Note d’orientation rendue publique par les trois Présidents en octobre 2011 et annonçant des perspectives de réécriture, des statuts amendés du PRES, datés du 16 novembre, ont été transmis aux membres des Conseils centraux des trois universités le 17, pour soumission, à Paris-IV, à la réunion du CA du 7 novembre et au CA du PRES le 9. Délais qui, avec le recul, se révèleront avoir été très courts, et avoir exclu une véritable procédure délibérative dans la gestation et même dans la décision des CA des universités (sauf si l’on considère qu’un vote vaut délibération), et ce, alors même que, sur cet exemple en tout cas, on perçoit très bien, dans ces nouveaux statuts, selon quelles options la gouvernance d’un PRES peut être reprofilée pour tenir compte des incitations du jury de l’IDEX et espérer ainsi en recevoir des prébendes. Pour dire en effet les choses rapidement, deux points principaux se dégagent de ces statuts, qui me semblent rendre difficilement compatibles avec les principes de l’autonomie interne et externe des universités l’opération PRES/IDEX si elle est ainsi cadrée par les exigences qui se sont exprimées à l’endroit du projet d’IDEX présenté par Paris 2-4-6 :

1. Pour ce qui touche à l’autonomie interne :
En 2007, j’avais soutenu pour ma part l’autonomisation externe (par rapport à l’Etat) introduite par la loi à condition, je l’ai écrit à de multiples reprises dans la presse et dans les livres, que cette autonomie externe ne se traduise pas par un accroissement exponentiel, en interne, des pouvoirs centraux de l’université ainsi autonomisée. Conformément au modèle conçu par Humboldt lors de la fondation de l’Université de Berlin en 1807-1809 (et dont, contrairement à ce qu’on lit souvent, je ne pense pas qu’en matière de gouvernement et de gouvernance des universités, il soit périmé), l’autonomie externe de l’Université par rapport à l’Etat (lequel, conformément aux principes démocratico-libéraux de la théorie humboldtienne des limites de l’Etat, est à la fois un Etat dont les pouvoirs sont forts, mais dans un espace d’intervention délimité par le souci de maintenir pour la société et ses instances de gestion une dimension d’autonomie requise par son libre épanouissement) se doit redoubler d’une autonomie interne à l’Université elle-même, que Humboldt évoque expressément dans son essai inachevé de 1809 Sur l’organisation interne et externes des établissements scientifiques supérieurs à Berlin, où il défend par exemple une organisation où l’Académie (l’Université comme institution de recherche) jouit d’une forme d’indépendance par rapport aux tâches proprement pédagogiques de l’Université comme établissement d’enseignement supérieur. Par rapport aux exigences de l’autonomie interne, je n’ai cessé depuis 2007, en raison des silences regrettables de la LRU (qui insistait surtout, avec une logique compréhensible, sur la dévolution d’une partie des pouvoirs de l’Etat aux Présidents des nouvelles universités autonomes), de mettre en garde contre une interprétation littérale (et non pas libérale) de la loi qui eût consisté à s’en tenir là et à ne pas imaginer à ces pouvoirs des Présidents des limites, c’est-à-dire des contre-pouvoirs, sans lesquels l’autonomie gagnée par l’Université comme totalité en externe, vis-à-vis de l’Etat, se traduirait par une centralisation interne dommageable à l’autonomie des composantes et aux libertés académiques intra-universitaires. Par rapport à cette exigence d’autonomie interne, demeurée non explicitée (mais non exclue) par la LRU, le PRES reformulé par Paris 2-4-6 compte tenu des exigences du jury de l’IDEX (et sans doute du MESR) présente des caractéristiques à mon sens fort alarmantes : la perspective d’une fusion des trois universités, acceptée dans d’autres PRES, y fait certes l’objet d’une dénégation insistante, mais la lecture du document ne laisse en rien que c’est par un pur hasard que le PRES ainsi reformaté se trouve désormais intitulé Sorbonne Université, au singulier, et non plus au pluriel (Sorbonne Universités), tant il est vrai qu’on voit mal, dans ces nouveaux statuts, en quoi il subsisterait à vrai dire entre les établissements réunis dans cette « super-structure » assez d’autonomie pour pouvoir parler encore d’eux au pluriel.

J’en prendrai pour preuves deux exemples :
– Selon ces nouveaux statuts, « la gouvernance du PRES est compétente d’une part pour la gestion de l’Idex, d’autre part pour les champs de compétence que lui délèguent les établissements membres avec l’accord de leurs instances respectives, conformément au principe de subsidiarité » : en toute rigueur, il faut préciser que la version du principe de subsidiarité ici envisagée est singulièrement réductrice, puisque la subsidiarité est ici purement ascendante, donc centralisatrice, sans subsidiarité descendante, c’est-à-dire décentralisatrice. Si leurs conseils en décident, est-il précisé, « les établissements (…) pourront déléguer des compétences à Sorbonne Université » – selon une interprétation de la subsidiarité comme purement ascendante, où les composantes peuvent déléguer de nouveaux pouvoirs au PRES, qui se substituera alors à elles, lors même que le PRES gardera au minimum tous les pouvoirs qu’il s’est donné à lui-même. Comme ne pas voir qu’un tel dispositif fait davantage songer, mutatis mutandis, au centralisme démocratique qu’à une quelconque limitation du pouvoir souverain ? De fait, tout étudiant de philosophe politique de licence sait que le caractère démocratique d’une gouvernance se juge aujourd’hui, non pas seulement sur la mise en œuvre du principe de la souveraineté du peuple ou de la volonté générale, mais sur le principe selon lequel a été prévue une limitation du pouvoir souverain, même quand celui-ci est le pouvoir de la volonté générale.
– Rien ne se trouvant ici affirmé en matière de subsidia rité descendante qui pût correspondre vraiment à une délégation ou à une reconnaissance de souveraineté aux universités composantes, qui conserveraient dans des espaces clairement définis une autonomie par rapport aux organes centraux du PRES (plafond d’emplois, objectifs de formation, politique de la recherche, etc.), on ne saurait être surpris de voir ce document réassumer sans état d’âmes aucun les ambiguïtés de la LRU quant au renforcement du pouvoir présidentiel – s’agissant ici des pouvoirs de la présidence du PRES, si l’on veut : des pouvoirs du Super-Président. Ainsi est-il introduit, à côté du Président, un délégué général qui « peut » être nommé par lui et, joignant dans les conseils sa voix à la sienne, comptant déjà double, fabrique une super-voix déséquilibrant les votes. C’est donc par une pure supercherie que cette disposition nouvelle peut être présentée comme rendant le Président moins omnipotent parce qu’il transmettrait la présidence de certains conseils à ce délégué général qui n’est que son clône. Contre quoi il faut donc soutenir et réaffirmer sans cesse, comme c’était déjà le cas depuis 2007 contre une certaine interprétation « présidentialiste » de la LRU, que le caractère démocratique d’une institution ne se joue plus aujourd’hui sur l’origine du pouvoir (le principe de la souveraineté du peuple ou de la volonté générale est aujourd’hui une intuition du sensus communis politique), mais sur la limitation de ce pouvoir par des contre-pouvoirs institués et exigeant la reconnaissance institutionnelle des droits de la minorité. Rien de tel ici, tant s’en faut, et donc aucun progrès par rapport à la LRU, bien au contraire, en matière d’autonomie interne, les universités retombant, vis-à-vis des instances centrales d’un tel PRES, dans une situation où seule la tutelle a changé, mais non pas la dépendance.

2. Concernant, pour terminer, l’autonomie externe (vis-à-vis de l’Etat), la mise en conformité recherchée, dans l’organisation de Sorbonne Université, avec les intentions attribuées à tort ou à raison au jury de l’IDEX et au MESR, prend ici une ampleur qui laisse pantois. Quatre ans après la LRU, par laquelle, qu’on l’approuve ou non, l’Etat ouvrait aux établissements universitaires des espaces d’autonomie ou d’initiative certes cadrés, mais affirmés comme tels. C’était sans doute trop pour les auteurs des statuts de Sorbonne Université qui en font allègrement le sacrifice à l’Etat pour obtenir de lui le financement tant espéré (plutôt que d’en confier la recherche aux instances du PRES) : ainsi l’article 8 procède-t-il à la réintroduction hallucinante dans les universités, au niveau du PRES, des pouvoirs d’un « commissaire du gouvernement », fleurant bon, sinon le léninisme, du moins la centralisation robespierriste. A travers le droit d’un tel commissaire du gouvernement de censurer une quelconque décision des conseils du PRES durant les deux mois qui suivent son adoption, resurgissent, à peine déguisés, les pouvoirs du Recteur tels que conçus dans la loi qui, en 1896, avait refondé les universités. La France avait rompu progressivement avec cette soumission de l’institution académique à l’Etat après 1968 (loi Faure) en substituant à la présidence du CA par le Recteur une simple représentation du Recteur dans le CA. Ce retour en amont de la loi Faure, avec le peu d’autonomie qu’elle conférait aux universités par rapport au « gouvernement », constitue ipso facto par rapport à la LRU un virage dans l’interprétation des ambiguïtés de la loi de 2007. Mesurons bien en effet ce que ce texte induit, et demandons-nous ce qui reste de l’autonomie externe des universités quand on lit : « Lorsqu’une délibération lui paraît contraire aux statuts, au règlement intérieur ou aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, le commissaire du Gouvernement peut demander dans un délai de deux mois une nouvelle délibération votée à la majorité des trois quarts des membres du conseil d’administration en exercice, présents ou représentés ». Lignes clairement incompatibles, me semble-t-il, avec le principe d’autonomie externe, dont je me demande pourquoi il est apparu à ce point nécessaire d’en mettre en valeur l’affirmation, quatre ans après, par une telle concession aux mouvances centralisatrices de la version française de l’idée démocratique.

Il ne s’agit là que de constats pratiqués à la lecture d’un texte qui présente l’inconvénient grave d’être le produit de l’accord des trois plus puissantes universités françaises dans les domaines, respectivement, des sciences, du droit et des humanités – et, de ce fait, de risquer d’avoir une importance décisive sur la suite de ce processus. Il est très difficile de tirer de ces constats inquiétants des conclusions certaines, et bien davantage encore de quelconques prévisions. Il est possible au demeurant que cette tentation de retour dans le giron de l’Etat et de réactivation des schèmes centralisateurs (tant en interne que dans le relation externe aux pouvoirs publics) ne corresponde qu’à une stratégie visant à troquer du pouvoir contre des financements, plutôt que d’utiliser les quelques pouvoirs obtenus en 2007 pour se procurer soi-même d’autres financements. Si c’est le cas, il s’agit à mon sens d’une bien malheureuse stratégie, peu responsable au regard des conséquences de ce qu’elle croit devoir réintroduire. Il est possible aussi que la conjoncture économique fasse vaciller en ce moment les convictions de ceux qui n’avaient adhéré aux valeurs de l’autonomie que du bout des lèvres et se trouvent fragilisés encore dans leur adhésion par les mésaventures des universités qui, faisant l’expérience de l’autonomie de gestion, trouvent au bout des compétences élargies la quasi faillite et la mise sous tutelle à l’égard de leur Rectorat. Je me bornerai à dire que, si ce type de conjoncture fait si rapidement vaciller de telles convictions, c’est sans doute qu’elles n’étaient pas suffisamment ancrées dans les consciences – ce qu’il n’est au demeurant pas surprenant de découvrir quand on se rappelle quelles résistances a suscitées de 2007 à 2009, chez les conservateurs de droite comme chez ceux de gauche, la marche vers l’autonomisation des universités, où la critique de la LRU et du type d’autonomisation ambiguë qu’elle pratiquait n’a pas toujours été, il s’en faut de beaucoup, dissociée, de la mise en cause de l’autonomie comme telle, donc d’une adhésion demeurée forte à la centralisation administrative. Cette trajectoire accomplie en quelques années, après l’autonomie obtenue en 2007, n’est pas rassurante pour l’Université. La route de sa modernisation est en vérité à peine frayée. Il est hautement souhaitable que, devant une telle situation et les risques qui s’y profilent, les réflexes partisans parviennent à s’estomper. La gauche, qui reste, malgré toutes mes réserves et déceptions, ma famille politique, gagnerait pour le moins à ne pas commettre l’erreur, ni de brader l’autonomie au compte du fait qu’elle a été introduite dans notre législation par la droite, ni de la conserver en l’état par volonté de ne pas rouvrir un dossier épineux. Elle doit aujourd’hui, où, pour quelques mois, il est encore temps de penser avant ensuite, éventuellement, d’agir, se demander au contraire comment apporter à l’autonomie des universités ce qui a lui manqué cruellement depuis 2007, à commencer par une réflexion approfondie, seule capable d’éviter les palinodies actuelles, sur l’économie des pouvoirs dans une université autonome. A partir de quoi il reviendrait spécialement bien à la gauche, parce qu’on la soupçonnera moins immédiatement, à tort ou à raison, de brader le savoir aux exigences du marché, d’accompagner les pouvoirs qui gouverneront les universités de façon plus équilibrée, plus soucieuse des droits de leurs minorités, dans le plus grand virage qu’il reste à négocier pour réconcilier l’institution académique avec son temps : celui qui la conduira à ne plus tout attendre de l’Etat pour son financement, mais à considérer que l’argent, public ou même privé, n’est pas son ennemi et que, si elle se soucie de l’attirer vers ses formations sans trahir aucunement sa vocation, en réfléchissant aux données de cette collecte des fonds qui jusqu’ici lui fait tant horreur, il finira par venir à elle.

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